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milk on the rocks
22 décembre 2006

Constance s'éveille

Dès que je commence à picoler, il me vient des drôles de pensées. Tiens, pas plus tard qu’hier soir, j’ai régalé un dîner mondain d’un de mes monologues insignifiants et ridicules. Nous étions encore au mois d’Août. Après le caviar d’aubergines, on commençait à s’emmerder sévère et comme je n’avais toujours pas ouvert la bouche, pourtant installé entre Anna et Clarisse, et que je m’étais enfilé tout le rouge, ou le blanc je ne sais plus, qui traînait sur la table, j’ai commencé :

« Nous vivons une foutue drôle d’époque malgré tout non ? J’aimerais le signaler car on a tendance à oublier tout ça. On a tendance à s’en taper le cul parterre, au même titre que la faim dans le monde, le sida, la disparition des ours dans les Pyrénées, l’Apartheid en Afrique du Sud, la vache folle, le capitalisme éthique, mes 550 chaînes de télévision, la mort de Mitterrand, la mayonnaise et ce putain de cholestérol, les petits péruviens qui triment comme des lamas pour planter les pieds de coca, la suprématie du burger way of life, le dentifrice qui détartre les gencives, le pq tellement doux qu’il fait pas mal au cul quand on s’essuie avec, Bernard-Henri Lévy et sa philosophie des pieds, la taille des seins de Lolo Ferrary avant qu’elle ne meurt, l’assassinat de Kennedy, la réduction de la couche d’ozone et le réchauffement de la planète, le succès de la démocratie en Irak, les potes de Ben Laden qui nous canardent à tel point qu’on va nous aussi finir par chercher à se planquer derrière des draps, la misère des nouvelles démocraties de l’ex-URSS, l’état du foi de Boris Eltsine, les pipes que Pamela Anderson peut tailler à Tommy Lee, le règne tout-puissant et inéluctable des classes riches sur les miséreux, les intouchables qui crèvent tellement de faim qu’ils seraient prêts à se taper leurs vaches de merde, les méduses mortelles qui tuent chaque année quelques rosbeefs sur les plages du Nord de l’Australie… Et au même titre que le fond de mon verre qui me semble pour l’heure bien plus profond que tout ce que j’ai pu dire jusqu’à présent.  Croyez-moi, c’est normal qu’on soit perdu. Je veux dire, y a tellement de choses à savoir et je n’ai plus de place dans ma tête. Tiens toi par exemple Anna…Ben toi…Toi, tu ris depuis tout à l’heure à leurs blagues désespérantes en me lançant des regards complices comme si… comme si quoi hein d’ailleurs ?... Comme si j’allais ainsi partager les rires avec toi ou, je sais pas, un truc comme ça?... Ou peut-être croyais-tu que ma libido exploserait littéralement sous les assauts de tes regards complices entremêlés de rires stériles ? Ou non !...Non…Non, tu… tu pensais probablement que je cèderais au rire moi aussi et que je te prendrais la main sous le putain de brouhaha de cette putain de franche rigolade ? Et oui, et de toute façon, tous les chemins mènent à Rome et…incorrigibles mortels que nous sommes…nous mourrons tous. Toi aussi Clarisse, malgré tout le mal que tu te donnes pour cacher ta médiocrité. Qu’on soit bien né, mal baisé, pd ou curé, philosophe ou dealer, ange ou démon… Alors merde, je ne vois pas pourquoi je devrais dissimuler mon dégoût derrière tous ces petits sourires mondains !... En revanche, je veux bien te baiser Anna. Et toi aussi Clarisse. Qui commence ?... Ne me dévisagez pas comme ça, nous perdons du temps et la vie n’attend pas… Ben quoi ?... Nous sommes tous bien ici pour la même chose, rassurez-moi ? Car dans le fond, la vraie question que nous nous posons tous depuis le début des hostilités et le flanc aux asperges et aux œufs d’esturgeon, c’ est… avec qui vais-je me faire une petite sauterie ce soir ? On s’est faussement laissé pousser la barbe, on s’est tapé des séances d’UV, on s’est parfumé –souvent un peu trop d’ailleurs ; on ne sent même plus l’odeur du caviar d’aubergines vous ne trouvez pas ?- on s’est faussement coiffé, on a mis un petit t-shirt customisé vintage genre j’avais rien d’autre dans ma penderie, le tout sous une petite veste en velours Armani alors qu’il fait 40 degrés… On parle de nos vacances à Saint Trop pour les plus chanceux ou de nos soirées à l’Etoile pour les moins bien lotis, on fait des blagues, on sourit, on s’épie, moi je regarde mes Clarks comme si elles allaient, elles aussi, me raconter des blagues… enfin, on fait semblant de ne pas remarquer qu’on est finalement tous là pour baiser. Alors, commençons directement par ça, après nous pourrons nous concentrer sur des sujets nettement plus polémiques. Donc, je suis là et je vous demande les filles, qui monte avec moi à l’étage ?... Oh et puis merde. Vous ne comprenez décidément plus rien. La Terre tourne, à une vitesse vertigineuse. Et moi tous ces tours, ça me file la gerbe. Où est passée ma tête ? Je ne fais plus de rêves et tout se connecte et se déconstruit avec une telle aisance… Dans le feu des ambulances, sous la lumière blafarde des réverbères, ou sur les bords de

la Seine. Paris

est une belle ville mes amis, peuplée de silhouettes merveilleuses et de connards en puissance. Quelqu’un aurait-il un peu de poudre, je me sens pousser des ailes et j’aimerais danser sur My Generation de nos regrettés génies The Who. Qui veut danser ? Personne ? Quel dommage… Je réitère alors ma question : pourrais-je avoir un scotch on the rocks, j’ai envie de mourir…ou de sourire, à dire vrai je ne sais plus… Je crois que le sort du Dalaï-lama m’importe presque autant que ce qu’il y aura demain dans mon assiette. Que ceux qui m’aiment me suivent, je pars décrocher les étoiles, ou toucher le fond. Je sature de toutes ces opinions, je n’arrive même plus à parler des miennes. Sauvez-vous, personne ne le fera à votre place. Car c’est ça le malheur de notre foutue époque…la solitude, l’égoïsme consacré. Mais moi, j’ai un cœur…Si si si, j’en ai un sous mon t-shirt Diesel à 77 euros. Et putain, c’est rassurant de savoir que je ne suis pas mort et qu’il bat la chamade pour… pour toi, euh… Constance, c’est ça…oui voilà…Constance…  Nous n’avons jamais été présentés il me semble… Qu’à cela ne tienne, je m’appelle…peu importe. Ce qui importe, c’est que moi aussi j’étais venu pour participer à la petite sauterie d’Edouard et que je ne baiserai pas ce soir. Je crois que j’ai définitivement perdu toute chance de baiser ce soir… Mais, je vous remercie pour ce dîner et surtout toi Constance, car je viens de découvrir que mon cœur bat encore et que je ne suis pas encore mort, et c’est d’un tel soulagement… Maintenant, vous ne vous offusquerez pas si je pars avant le Tiramisu mais je crois que je vais aller me reposer un peu, mes cheveux me font horriblement mal… Raphaël, tu peux me passer ma veste… ».

Et là, aussi étrange que cela puisse paraître, dans le silence et l’incompréhension générale de cette table aussi snobe qu’inutile, Constance s’est levée et a murmuré à nos camarades encore estomaqués : « Je te raccompagne. » Une fois au pied de ce bel immeuble Haussmannien où habitait Edouard, je lui ai proposé de marcher. Il faisait encore chaud. Elle a froidement accepté, je crois qu’elle redoutait que je déglutisse dans le taxi. Tu as raison Constance, mieux vaut prévenir que guérir. Nous nous sommes engagés sur l’avenue Descartes, il devait être 23h30 et des poussières. Elle ne disait mot. J’ai sorti une cigarette de la poche intérieure de ma veste. « Tu aurais du feu ?... Ah merci. Mais excuse moi, je suis négligent ; tu veux une cigarette ? …Non, tu ne fumes pas. Dans ce cas…dans ce cas… dans ce cas, c’est…enfin… tu as fait le bon choix. » Si je ne l’avais pas encore été, c’était chose faite : j’étais pathétique.

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