Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
milk on the rocks
24 janvier 2007

Bertrand Carthagène - Episode 3

Et voilà, la suite de la suite. Pour ceux qui prendraient l'histoire en cours, il suffit d'aller dans la rubrique "La saga rock & roll de Bertrand..." pour récupérer les épisodes depuis le début.

00360m

Henri ne sortait plus beaucoup, sauf pour aller chercher sa blanquette de veau. Chez l’ancienne boucherie concurrente de son père. Il versait toujours une larme devant les vitrines pleines de charcuterie de la boutique. L’avocat de Jeannot a plaidé la folie le jour du procès. Ca n’a pas ému grand monde. Il a pris douze ans. Bertrand a compris que c’était la fin du groupe. Et le début de l’alcool. Il s’est vaguement essayé à l’écriture. Sans succès. Et puis il a repris la peinture. Il aimait bien montrer à ses amis le chevalet qui traînait dans le salon. Il se sentait moins con. Mais c’était toujours la même toile exposée sur le chevalet. L’esquisse d’une belle étrangère aux longs cheveux bouclés. Alors un jour, Bertrand Carthagène s’est fâché avec cette toile. C’était le jour de ses 32 ans. Il avait appelé Henri qu’il n’avait pas vu depuis deux ans. Mais Henri était avec sa femme et fêtait déjà l’anniversaire de son fils. Bertrand a dit que c’était marrant qu’il soit né le même jour que le fils d’Henri, qu’il n’y avait jamais prêté attention auparavant. Henri a répondu que c’était pathétique au contraire. Bertrand a dit qu’il n’était pas fait pour avoir des enfants, que ça le rendait triste parfois, qu’il aurait aimé faire un bon père. Il a demandé à Henri si c’était un bon père. Henri a demandé à Bertrand si tout allait bien, s’il avait besoin d’argent.

«Et bien… tu vois… Non, j’ai tellement d’argent que je ne sais qu’en faire. J’ai besoin de compagnie surtout Henri. Je deviens malheureux…

‑ T’as toujours était malheureux Bertrand, ça ne date pas d’hier…

‑ J’avais du talent non ? Pour les chansons, les textes, la musique. J’avais au moins ça non ?

‑ C’est certain. J’étais même un peu jaloux je crois. Mais je n’aime pas y repenser.

‑ Moi, j’aime bien y repenser. J’aime bien me dire qu’on a laissé une trace. C’est idiot, je sais mais… Comment tu fais pour y croire toi, au quotidien ?

‑ Je suis un mec ordinaire Bertrand, j’étais pas fait pour ça. J’ai appris que tu n’étais plus avec Cécile…

‑ Eh bien oui tu vois. Elle m’a laissé un cd de Supergrass… C’est tout ce qu’il me reste. Ca et une vieille toile sur un chevalet. J’y arrive plus Henri. Tu sais que j’ai la barbe maintenant, moi l’imberbe du groupe. N’est-ce pas marrant comme tragédie ?

‑ Arrête de jouer au con. Reprend la musique, c’est tout ce que tu sais faire, et tu le fais bien mieux que beaucoup.

‑ Mais, j’ai pas touché un instrument depuis deux ans, j’ai tout vendu.

‑ Pour nous, c’est certainement fini. Mais ce groupe merdique vit encore. Je touche des putains de chèques tous les mois rien qu’avec les passages radio. Et Leyrift, dans le fond, tu sais que c’est toi.

‑ C’est bon Henri, me sort pas ton discours de coach américain à deux balles.

‑ C’est tout ce que t’as jamais eu, ta musique.

‑ Amen.

‑ Je dois te laisser. Prend soin de toi.

‑ Prends soin de ton fils, t’as de la chance. »

Quand il a raccroché, Bertrand s’est envoyé le reste de champi au fond de la poêle qui datait de la veille. Il a cherché dans son carnet d’adresses un ami à appeler. Il a passé presque deux heures à faire le tour de ses centaines de contacts. Mais personne à appeler. Ca l’ennuyait cette solitude. Il s’est retourné vers sa vieille toile, fidèle de toujours. « Toi au moins, tu ne m’as pas lâché. Mais Dieu que t’es moche. Attends, je vais arranger ça. » A coups de sauce guacamole, Bertrand a refait le portrait de la jolie brune posée sur la toile. Elle arborait maintenant une étrange couleur de gerbe. Ca ne lui plaisait pas non plus, comme ça. Alors, il a hésité, et il a finit par déchirer la toile, en commençant par le côté droit. Après, c’était le vide.

Il a cherché dans son grand appartement rue du Faubourg Saint-Honoré une autre compagnie à déchirer. Comme il ne trouvait pas, il s’est dit qu’il ne lui restait plus que lui. Il s’est saisi de la pierre d’Agadir que sa mère lui avait ramené quelques années plus tôt d’un voyage scolaire avec ses élèves. Si l’on étudiait bien cette pierre, on se rendait facilement compte que l’une de ses arrêtes pouvait être mortellement tranchante. Et puis, il a surtout pensé qu’il était déconvenu de salir ce cadeau familial. Alors, il s’est allumé une cigarette qu’il a fumé avec un verre de Jack Daniel’s. Quand il est arrivé au filtre, Bertrand Carthagène a écrasé proprement sa cigarette dans un pot de confiture au cassis. Il a récupéré le filtre dont il a extrait l’intérieur pour le faire brûler à l’aide d’un briquet ordinaire. Le coton blanc s’est rapidement transformé en scalpel de fortune. Il savait qu’un certain nombre de détenus au bout du rouleau s’étaient déjà tranchés quelques artères de cette façon. Bon, et puis…   

Finalement, il a laissé tombé son arme. C’était grotesque, il n’avait même pas envie de mourir. Il pensait que ça ferait revenir Cécile. Mais Cécile était probablement loin, elle avait peut-être même oublié que c’était son anniversaire. Lui qui vendait des centaines de milliers d’albums, et personne pour lui souhaiter un bon anniversaire. Il aurait bien pris la voiture Bertrand, tailler la route à travers les grands espaces, mais il n’avait pas le permis. De quoi pourrait-il rêver cette nuit Bertrand ? Il avait eu son groupe de rock, son bel appartement en plein centre de Paris, sa jolie brune, ses excentricités, sa reconnaissance, ses faux amis, sa fortune ; il avait tout eu. Il repensait à Jeannot, qui ne devait pas beaucoup se marrer dans sa cage à lapins de deux mètres sur deux. Il s’est dit qu’il irait lui rendre visite. Et il est sorti. Voir quelques catins.

Publicité
Publicité
Commentaires
milk on the rocks
Publicité
milk  on  the  rocks
Publicité